Une année particulière à la Clinique de La Borde

Une année particulière à la Clinique de La Borde à Cour-Cheverny
Le  nouveau bâtiment "Les Hauts Bois",
inauguré en novembre 2020
 « La Grenouille » a rencontré Flore Pulliero-Vitez, petite fille de Jean Oury, qui occupe la fonction de directrice adjointe à la clinique de La Borde (1). Elle a intégré l’établissement en 2015, après des études juridiques et un parcours dans ce domaine. Elle a pu nous communiquer quelques récentes et intéressantes nouvelles de l’établissement.

Une année particulière à la Clinique de La Borde à Cour-Cheverny
L. G. : « Quoi de neuf à La Borde ? »
Flore Pulliero-Vitez : « Quoi de neuf ? C’est une question que l’on se pose quotidien­nement à La Borde… Il n’est pas évident d’y répondre, qui plus est dans le contexte sanitaire actuel. L’année 2020 a vu l’ouverture de notre nouveau bâtiment "Les Hauts-Bois", inauguré en novembre dernier. Ce secteur d’hébergement de 29 lits nous a conduits à désaffecter le secteur des "Bois" devenu vétuste. Le projet, initié il y a trois ans, a reçu la distinction de "L’Arche d’Or" attribuée par le concours "Le Geste d’Or (2)" pour les particularités du bâti­ment mais aussi pour la méthodologie de sa conception : l’architecte (Charles Vitez) s’est régulièrement réuni avec les utilisateurs (patients, soignants, direction, …) pour concevoir un hébergement adapté à la vie quotidienne à La Borde, associant le besoin d’intimité (et le droit à) et la stratégie de soins de la psychothérapie institutionnelle, qui vise notamment à prévenir l’isolement et le repli. La conception originale des espaces recherche cette double fonc­tionnalité, avec des chambres particulières et de grandes chambres collectives pensées pour concilier intimité et partage. Ce projet s’inscrit dans un travail de modernisation de la structure d’hébergement mené depuis une dizaine d’années. Quant au déménagement en lui-même, on peut le qualifier de véritable travail thérapeutique ayant mobilisé patients et soignants pendant plusieurs semaines ».

L. G. : Comment la clinique a-t-elle traversé la crise sanitaire du covid-19 ?
F.P.V. : « Cette crise sans précédent qui dure depuis plus d’un an est source de nombreuses contraintes pour le fonctionne­ment de la clinique. Il a fallu comme ailleurs faire face à une situation totalement nouvelle, évoluant très rapidement, sans recul… Cette épreuve a mobilisé l’énergie de tous (patients, soignants, médecins, direction, cuisiniers, personnel administratif, de la garderie et de l’entretien, stagiaires…) pour adapter notre fonctionnement tout en préservant les parti­cularités de notre approche thérapeutique : vie quotidienne, accueil permanent, liberté de circulation… ».

Une année particulière à la Clinique de La Borde à Cour-Cheverny
L. G. : « Concrètement, comment cela s’est-il passé ? »

F.P.V. : « Nous avons été confrontés au covid dès le début de la crise, avec un premier cas dès le mois de mars 2020. Nous nous sommes donc très vite mobilisés pour élaborer une stratégie de prévention. Comme dans tous les établissements de santé, une cellule de crise a été créée pour coordonner les mesures de prévention, en lien constant avec l’ARS (3). À La Borde, elle associe la direction, l’équipe médicale, notre coordonnatrice de la gestion des risques, la responsable des Ressources humaines, notre pharmacienne, un représen­tant de notre commission des plannings ("la grille"), un responsable de l’équipe d’entretien. Elle est en lien constant avec l’ensemble des instances de la clinique. Le premier travail a consisté à réceptionner, lire, analyser et inter­préter les recommandations que nous trans­mettaient quasi-quotidiennement les autorités sanitaires (et qui ont constitué à terme un classeur de plusieurs centaines de pages…), et à les adapter aux spécificités de notre éta­blissement. Cet aspect de la crise a mobilisé beaucoup d’énergie. Cette évolution constante des recommandations est néanmoins com­préhensible dans la mesure où les connais­sances sur le virus évoluaient jour après jour. Certaines recommandations étaient toutefois parfois éloignées de la pratique et l’on a pu de nouveau constater que les professionnels de terrain sont les mieux placés pour adapter la réponse à une situation sanitaire exception­nelle. Leur capacité d’initiative est en ce sens essentielle ».

L. G. : « Quels étaient pour vous les prin­cipaux enjeux dans la gestion de cette crise ? »

F.P.V. : « Il nous fallait avant tout garder la maîtrise de la situation en préservant une relative tranquillité, faire en sorte que les contraintes sanitaires ne viennent pas entra­ver les soins ou mettre à mal nos principes thérapeutiques. Là où dans un hôpital on peut facilement isoler un malade du covid, cette nécessité prend une tout autre dimension dans un établissement psychiatrique, et ne s’appréhende pas de la même façon ».

La crise a nécessité de se réinventer dans de nombreux domaines…
F.P.V. : « Les gestes barrière réduisaient par principe certains espaces de liberté habituels, ce qui nous a conduits à en inventer d’autres… Il nous a fallu faire preuve d’inventivité pour expliquer et suivre les "gestes barrière" sans écraser une possibilité de vie collective quo­tidienne. Pour cela, le club thérapeutique a joué un rôle essentiel. Nous avons réussi à garder un certain contrôle de la situation, grâce au maintien d’une coordination quoti­dienne, à la mobilisation et à la "veillance" de tous. Les informations circulent très vite à La Borde, parce que les gens se parlent (ce qui ne va pas de soi), et cela permet une grande réactivité ».

De nombreux exemples illustrent cette période très particulière
- Le port du masque…

F.P.V. : « Comme tous les établissements et entreprises, la clinique a manqué de ces équi­pements au début de la crise, et a fait appel à de nombreuses sources d’approvisionnement, dont la couturière ("Vos rêves sur mesure") et le tapissier (Stéphane Vignaud) de Cour- Cheverny…
Le masque est contraignant pour tous, mais la plupart d’entre nous ne le portons qu’en dehors de notre domicile, et le retirons dès notre retour à la maison… Pour les patients, c’était et c’est toujours quasiment en perma­nence du fait de la vie en collectivité… Je souligne leur patience… ».

- L’hôpital de jour
F.P.V. : « Lors du premier confinement, les patients de l’hôpital de jour, résidant hors de l’établissement, ne pouvaient plus être accueil­lis à la clinique. Là aussi il a fallu réinventer…. Nous avons mis en place un suivi à distance, par entretien téléphonique quotidien, et/ou des visites à domicile fréquentes afin de maintenir la continuité des soins. Heureusement, nous avons pu à nouveau accueillir les patients de l’hôpital de jour dès le mois de juin 2020, dans le respect de certaines précautions sanitaires ».

- Une boutique nouvelle formule
F.P.V. : « À l’inverse, les pensionnaires de la clinique ne pouvaient plus se déplacer à Cour-Cheverny ou à Blois pour y faire régu­lièrement leurs courses… Un atelier du club thérapeutique s’est mis en place pour prendre le relais. Il existait déjà une "petite boutique" à La Borde, pour de menus achats : "l‘Échoppée belle" s’est constituée pour élargir la gamme des produits au plus près des attentes indivi­duelles mais à partir d’un travail d’organisation collectif. Des "petits métiers" ont ainsi été créés, comme par exemple pour la distribution du gel hydroalcoolique, ou pour tenir la porte, avec la fonction de "groom"… ».

- Journal et communication interne
F.P.V. : « Le journal interne "Les nouvelles labordiennes", qui est un atelier hebdoma­daire, a joué un rôle très important pour sensibiliser chacun aux enjeux de la situation sanitaire mais aussi aux difficultés, incompré­hensions et souffrances que les restrictions pouvaient causer ».

Une année particulière à la Clinique de La Borde à Cour-Cheverny
File d’attente pour "l’Échoppée belle"
- Des moyens et méthodes adaptés…
F.P.V. : « La situation sanitaire a conduit à renforcer les effectifs : charge de travail liée aux mesures de prévention, création d’une unité covid, arrêts maladie préventifs ou per­sonnel cas contact… Nous avons fait appel à des CDD, et rappelé quelques retraités dont le concours a été précieux.
Très tôt, dès le début du mois de mai 2020, nous avons réalisé un dépistage global, ce qui à l’époque n’avait rien d’évident car c’était totalement nouveau. Nos soignants ont été for­més au dépistage par un laboratoire de Tours. Il était essentiel que ces tests soient réalisés par des personnes proches des patients, leur permettant de vivre cette "épreuve" en confiance, et tout s’est bien passé. Nous avons depuis intégré les tests à notre stratégie de prévention, afin de détecter rapidement d’éventuels cas de covid et pouvoir briser les chaînes de contamination.
Tout ce qui vient d’être évoqué aura permis de maintenir une relative sérénité dans l’éta­blissement, sans que jamais un sentiment de panique ne s’installe. La peur est quelque chose de très contagieux, sans doute plus que le virus... Une possibilité d’accueil et de vie quotidienne a pu être maintenue… ».

Concernant la vaccination
F.P.V. : « Pour la plupart d’entre eux, nos patients ne faisaient pas partie des publics prioritaires en janvier, et le feu vert ne nous a été donné qu’en mars, après un travail assidu auprès des autorités sanitaires pour que nos patients, souffrant de pathologies psychia­triques mais aussi souvent de pathologies somatiques, puissent y avoir accès. La vacci­nation s’est déroulée là aussi sans encombre, grâce à l’implication de tous, et la quasi-tota­lité des patients et des professionnels a été rapidement vaccinée. Toutes les doses ont été utilisées, y compris les doses surnumé­raires en proposant la vaccination à quelques personnes extérieures à l’établissement ».

Des enseignements pour l’avenir…
F.P.V. : « On parle beaucoup en ce moment des "enseignements de la crise", comme s’il fallait absolument en déduire de nouvelles modalités pour la suite… Je ne suis pas convaincue par la démarche… Ce que je peux dire c’est que cette expérience me conforte dans l’idée qu’un dispositif de soins basé sur l’initiative et la responsabilisation fait aussi ses preuves en matière de gestion de l’urgence ».

Et maintenant ?
F.P.V. : « Une vie quotidienne moins contrainte va reprendre, du moins nous l’espérons… Les contraintes vont s’alléger, nos patients vont circuler plus librement et croiser à nouveau les Courchois dans le village, permettant à la clinique de La Borde de réintégrer le paysage de la vie locale, et aux nouveaux habitants de nous découvrir ».

Cette courte immersion dans le monde de La Borde nous rappelle le proverbe : « À quelque chose, malheur est bon »…

Propos recueillis par P. L.

(1) Pour plus d’informations sur la clinique de La Borde, voir le livre « Les grandes heures de Cheverny et Cour- Cheverny en Loir-et-Cher… et nos petites histoires » - Éditions Oxygène Cheverny 2018 - page 74 : La Borde.
(2) Le Geste d’Or est une association regroupant diffé­rents métiers du bâtiment : maîtres d’ouvrage, maîtres d’oeuvre, entreprises, gestionnaires et usagers. Elle organise un concours annuel qui a un double objectif : recenser et mettre en valeur l’exemplarité des opérations de construction.
(3) ARS : Agence régionale de santé.

Autres sources d’informations :
www.clubdelaborde.com

La Grenouille n°52 - juillet 2021

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