...éclairé
par les souvenirs de Stanislas de Sainte-Marie.
Le 17 juin 2015, La Grenouille a
rencontré Stanislas de Sainte-Marie, propriétaire du château de Troussay, qui
nous livre un précieux témoignage sur l’évolution du domaine depuis son
acquisition par sa famille en 1900, jusqu’à sa transmission en 2015 à sa fille,
Isaure de Sainte-Marie (Voir La Grenouille n° 27).
Stanislas de Sainte-Marie |
Le
domaine de Troussay, du XVe au
XVIIIe siècle
Troussay
a été édifié vers 1450 par Robert de Bugy. C’était un modeste manoir, qui a été
embelli une première fois au XVIe s.
et complètement modifié et enrichi au XIXe s.
par Louis de La Saussaye. Troussay a été restauré deux fois et vendu deux fois.
Il est resté dans la famille de Bugy jusqu’au XVIIIe s. dont les membres, seigneurs de
Troussay, devinrent écuyers et contrôleurs du grenier à sel de Blois. La
famille Pelluys, notables blaisois, apparentée au Grand Colbert, acquiert le
domaine en 1732. Leur fille, la belle Gabrielle Pelluys, épouse en 1741 le
chevalier Christophe de Réméon (descendant d’un compagnon de Henri IV). Elle
apporte Troussay en dot, soit 700 hectares qui s’étendent de Contres à
Cheverny. Leur fils, Christophe de Réméon, épouse Marie de la Saussaye en 1787.
Le ménage n’aura pas de postérité.
Le
domaine de Troussay au XIXe siècle
Leur
neveu, Louis de La Saussaye hérite du domaine en 1828. Troussay est
pratiquement en ruine. Notons que Madame de Réméon, à l’époque de la
Révolution, avait demandé des devis pour la restauration du manoir, mais on
comprend aisément que la période n’était pas propice pour entreprendre des
travaux sur le château...
Louis de
La Saussaye, membre de l’Institut, doyen des facultés de Lyon et de Poitiers,
historien... était un ami proche de Prosper Mérimée, premier inspecteur général
des monuments historiques, qui avait pour mission de préserver le patrimoine
national. C’était une position exceptionnelle quand on considère que la
tendance du XIXe s. était de
détruire pour reconstruire autrement. Pour Prosper Mérimée, il fallait plutôt
maintenir au maximum ce qui existait. C’est ainsi qu’il a réalisé un inventaire
général des monuments historiques français. Louis de La Saussaye a la même
approche quand il entreprend de restaurer Troussay (1). Il commence par conserver tout ce
qui est possible du vieux manoir. Puis, à partir de prestigieux monuments de la
région laissés à l’abandon par ses contemporains ou détruits pour les remplacer
par des édifices au goût de l’époque, il préserve des éléments de décors
anciens d’une grande valeur artistique qu’il intègre à Troussay : sculptures
sur pierre ou sur bois, cheminées, plafonds peints, vitraux polychromes,
ferrures et carrelages anciens...
Stanislas
de Sainte Marie : « Le
domaine de Troussay a été acquis en 1900 par le comte Delamarre de Monchaux,
savant naturaliste, mon grand-père. Son épouse, Isore Hurault de Vibraye, du
château de Cheverny, souhaitait se rapprocher de sa famille. Les nouveaux
propriétaires de Troussay n’y séjournaient que deux mois par an et, de ce fait,
ne l’entretenaient guère. Mon grand-père, très considéré par ses pairs au
Muséum d’histoire naturelle de Paris, s’intéressait davantage à la faune et à
la flore qu’à la gestion d’une propriété. Ma grand-mère faisait cependant son
maximum pour maintenir Troussay en état d’être habité. Plus tard, mon
grand-père, veuf à partir de 1938, faisait la navette régulièrement entre Paris
et Cheverny. Mais Troussay ne bénéficiait d’aucun confort. L’exploitation
agricole servait en quelque sorte de laboratoire à mon grand-père et lui
coûtait fort cher.
En 1940,
les Allemands ont couché à Troussay pendant une courte période. J’en ai eu peu
d’échos, si ce n’est qu’ils ont effectué une revue militaire dans la cour.
J’étais réfugié, cette année là, en 9e au
lycée de Villeneuve-sur-Lot.
Ma mère a
hérité de Troussay en 1952. Quant à mon père, il avait fait l’école navale et
était poête et musicien : ce n’était pas non plus un gestionnaire. Dans quel
état était Troussay à cette époque ? Mes parents ont constaté que Louis de La
Saussaye avait fait quelques économies sur certains matériaux de construction
: les charpentes avaient été réalisées en pin de pays et couvertes d’ardoises
de dernière qualité. Sans compter (au passage) un parquet en sapin très
laid... En 1952, la charpente était à moitié pourrie, une vigne vierge couvrait
toute la façade et dégradait le ravalement. Pas d’eau courante, ni
d’électricité ni de chauffage et le parc n’était plus entretenu. Seul le
potager (3 300 m2), qui comportait même une serre, était soigneusement
entretenu. Outre des légumes et des arbres fruitiers, il y poussait aussi des
fleurs.
Quant à
moi, je passais 15 jours par an à Troussay du temps de mon grand-père. J’allais
plus souvent en Bretagne où une soeur de ma grand-mère maternelle (cette dernière
étant décédée en 1938) nous accueillait régulièrement dans sa propriété près
de Saint Brieuc. Je m’y sentais bien : la vie y était agréable à proximité de
la mer. J’étais alors étudiant à Sciences Po-Paris.
Dans ma
petite enfance, les étés en Normandie (près de Dieppe, chez ma grand-mère paternelle)
avaient déjà contribué à me donner le goût du bord de mer.
Progressivement,
j’ai été amené à m’intéresser à Troussay en voyant mes parents y entreprendre
les travaux les plus urgents : la pose du premier radiateur, de la première
baignoire, le premier coup de pinceau...
Jusque
là, du temps de mon grand-père, la vie à Troussay n’était guère confortable :
on se chauffait à l’aide de poêles ou de feux de cheminées. Ceci a duré
jusqu’à l’installation d’un vrai chauffage central. Je me souviens, une année,
pendant les vacances de Mardi gras, avoir passé une journée à monter des bûches
pour alimenter le poêle d’une chambre du premier étage et à en descendre les
cendres. En partant le soir, il ne faisait que 14 degrés dans la pièce. On
montait aussi l’eau froide et l’eau chaude que l’on conservait dans des
marmites norvégiennes et des tubs en zinc à faibles rebords qui servaient de
baignoires. Puis on descendait manuellement les eaux usées. L’eau que l’on tirait
à la pompe, dans la cour, était précieuse ».
À cette
époque, le personnel du domaine se composait de deux ménages :
- Marcel
et Germaine Clousier, qui entretenaient l’intérieur du château et
travaillaient le potager ;
- Eugène
Tessier (père de Roger et grand-père de Philippe), à la fois régisseur et chef
de culture, et son épouse Andrée, aidés par des hommes de journée pour
l’exploitation agricole.
Le tout
sur 48 hectares (terres, parc et bois).
Stanislas
de Sainte Marie : « La
vendange était un événement important et l’exploitation agricole rappelait
l’atmosphère des manoirs d’autrefois qui vivaient en autarcie. Chevaux de
labour, vaches, cochons, poules, lapins... participaient à la vie de la
communauté. Une fois l’an, un charcutier de Cellettes se rendait à Troussay
pour y tuer le cochon et confectionner la charcuterie. La viticulture prenait
beaucoup de place, mais le vin produit n’était pas très bon. En dehors du
cépage Romorantin, on buvait des hybrides dont du Baco et du Noa, un cépage
originaire des Etats-Unis.
À cette
époque, la propriété a été séparée en deux : ma mère, cadette de trois soeurs,
a repris le château avec le parc et quelques terres. Une de ses soeurs, qui
avait épousé un anglais, s’était installée un petit « cottage » dans une
ancienne closerie toute proche appelée « La Cheminée ronde »(2). Ma tante avait
repris le bois de La Charbonnerie ainsi que des terres. Quand elle est devenue
veuve, elle est retournée en Ecosse près de ses enfants et a revendu le bois à
ma mère, ainsi que le reste des terres.
Louis de
La Saussaye avait aussi créé un parc à l’anglaise plein de charme, avec des
essences variées, arbres et buissons. Aujourd’hui, nous nous efforçons de le
maintenir, malgré le temps qui passe et les tempêtes. On procède à des
élagages de haute volée pour les grands chênes, on replante avec l’aide du
syndicat forestier et de la Société d’horticulture afin de régénérer les
espèces.
Stanislas
de Sainte Marie : « Je suis
devenu propriétaire de Troussay en 1973, l’année de mon mariage. Jeune ménage,
nous habitions, ma femme et moi, rue Bassano à Paris, chez le marquis Philippe
de Vibraye, cousin de ma mère et propriétaire du château de Cheverny. Il m’a
donné ce conseil :
«
Pourquoi n’ouvrirais-tu pas Troussay au public » ?
Je lui ai
répondu :
« Vous
n’y pensez pas ! Troussay et Cheverny, c’est la puce et l’éléphant ! »
Et le
marquis de renchérir : « Oui, mais il y a de jolies choses et c’est bien placé,
ça marchera ».
Nous
l’avons fait et ne l’avons jamais regretté.
Pour
ouvrir au public, il était nécessaire d’obtenir un agrément que nous avons
sollicité et obtenu rapidement. C’est ma femme, Chantal des Courtils, qui a
créé le tourisme à Troussay et le musée de Sologne (3) dans
les communs, ainsi que plusieurs expositions, notamment celle consacrée à la
domesticité dans les châteaux d’autrefois.
Pendant
longtemps, Troussay a été mal connu, voire mal considéré par les ABF
(Architectes des bâtiments de France). Ils reconnaissaient que Troussay
abritait de belles choses, mais que peu étaient d’origine de Troussay, donc «
pas intéressantes ». Les ABF décrétaient donc que Troussay n’avait pas à être
protégé. Aujourd’hui, heureusement, on n’en est plus là. Les ABF admettent la
valeur de l’oeuvre de préservation, de sauvetage et d’intégration de Louis de
La Saussaye. Cette évolution lente de la position des ABF a permis l’inscription
du domaine de Troussay en totalité (le parc, le château et les dépendances) à
l’inventaire supplémentaire des monuments historiques depuis janvier 2000.
De grands
travaux ont été ensuite continués de façon sporadique, en particulier la
toiture du corps de logis central dont la charpente a été entièrement refaite
en chêne et recouverte d’ardoises de qualité (entre 2000 et 2004). Cette
restauration comprenait les sculptures des lucarnes et des cheminées. Nous
avons obtenu pour ce faire 10 % du coût des travaux sous forme de subventions.
Même les petits pavillons du parc, à l’origine destinés à abriter les outils de
jardin, ont été restaurés dans les mêmes conditions. Troussay nous a demandé
beaucoup de sacrifices et de peine mais nous a apporté en échange autant de
satisfactions. Suite au décès de ma femme en 2002, j’ai repris en main la
gestion du tourisme à Troussay ».
Une
nouvelle page de l’histoire de Troussay est en train de s’écrire
Isaure de
Sainte-Marie, la nouvelle propriétaire du domaine de Troussay, a entrepris une
série d’aménagements à l’intérieur même du château. Elle a ainsi créé des
chambres d’hôtes dont la fréquentation remporte un grand succès depuis le début
de l’été 2015.
(1) Démarche relatée dans ses annales Troussayennes
La
Grenouille - La Grenouille n° 29 - Octobre 2015
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